Vole, petit oiseau, vole…

oiseau qui vole

Lorsque tu étais bébé, petit oiseau, tu n’avais pas beaucoup de préoccupations. La première d’entre elles, ce fût de casser ta coquille correctement pour pouvoir pointer le bout de ton bec, dans le nid de papa et maman. Tes parents, si attentifs lors des premiers instants, mais très vite préoccupés par la vie quotidienne et l’obsession de nourrir le reste de la famille car tu n’étais pas tout seul, petit oiseau. Et ce fût, là aussi, ton premier problème, de ne pas être seul, cela aurait bien arrangé les choses, être au centre de l’attention, être l’unique pour ne pas laisser la place à de quelconques marques de jalousie. Mais, ça, petit oiseau, ce n’était pas dans tes priorités, tu te contentais d’ouvrir le bec et d’écouter attentivement les conseils de papa et maman. Et puis, vint le jour, petit oiseau, où il fallut prendre ton envol au sens propre comme au sens figuré. Oui, t’envoler de tes propres ailes, quitter ce nid douillet dans lequel tu étais né mais dans lequel, par ailleurs, tu te sentais à l’étroit. Ce jour-là ne fut pas un jour facile, tu le redoutais, tu le craignais, tu pensais que tu n’y arriverais pas et puis, prenant ton courage à bout d’ailes, et bien tu te lanças dans le grand bain de la vie d’adulte. Tu n’étais plus un bébé, tu n’étais plus un oisillon, il te fallait alors trouver ta nourriture, te construire ton propre nid, à l’abri des regards indiscrets et des nombreux prédateurs qui n’étaient jamais bien loin. Cette vie au grand air te convenait parfaitement, petit oiseau, car oui, tu étais fait pour voler de tes propres ailes, tu n’étais pas comme ces oiseaux, noyés dans la masse d’un essaim de plume, tu voulais de l’indépendance et tu voulais surtout découvrir le monde. Ce monde qui t’entourait, qui te faisait envie, qui te faisait peur parfois mais dans lequel tu trouvais toujours la bonne direction, du moins celle que tu t’étais fixé. Tu avais des rêves, petit oiseau, dont celui d’atteindre le soleil, le point le plus haut dans ce ciel qui te tendait les bras mais dont l’immensité te rendait parfois nostalgique du petit nid douillet de ton enfance. Tu ne t’inquiétais pas de devoir refaire ton nid lors de tes différentes migrations, tu trouvais toujours le bon endroit et tu savais en faire un petit sanctuaire dans lequel tu aimais te réfugier. Mais, tu n’oubliais pas pour autant tes rêves, petit oiseau, tu voulais te différencier des autres oiseaux, cela ne pouvait pas passer par le plumage, la nature ne t’avait pas beaucoup gâté de ce côté là, non, toi il te restait un atout : ton chant. Tu savais bien chanter, les notes étaient justes, elles étaient bien « accordées », elles faisaient le bonheur de ton public, ces nombreux passants que tu croisais tous les jours dans ce parc public une fois, dans ce parc privé une autre fois mais toujours tu savais trouver les endroits où le public était rassemblé. Tu voulais qu’on te remarque, et c’est ce qui arriva. On te remarqua, à tel point que sans t’en rendre compte, tu te retrouvas un jour attiré dans ce qui allait devenir ta nouvelle maison : une cage. Une belle cage dorée dans laquelle tu n’avais pas d’efforts à faire pour trouver ta nourriture, elle était là, à disposition, de même que l’eau. Mais, tu l’avais voulu car tu commençais déjà à être fatigué de devoir voler à droite et à gauche. Tu n’avais pas d’autres choix que de chanter dans la journée pour faire plaisir à un public qui était désormais certes moins nombreux mais peut-être plus exigeant. Après tout, tu avais beaucoup voyagé, tu avais vu du pays comme l’on dit et pour toi, petit oiseau, retrouver un certain confort était pour le coup une sorte d’accomplissement, une fin en soi. Pourtant, très vite, petit oiseau, tu te sentis à l’étroit dans cette belle cage, oppressé par ces nombreux barreaux qui t’entouraient et qui te faisaient regretter la nature et ce ciel que tu aimais tant. Tu n’en oubliais pas pour autant tes rêves, ils faisaient désormais partie d’une période révolue de ta vie, tu pensais les dompter, les maîtriser, mais l’envie, elle, était là quelque part, enfouie dans un petit coin de plume. Alors, petit oiseau, tu n’hésitas pas à saisir une opportunité qui ne se représenterait pas deux fois : la porte de la cage était restée ouverte et tu en profitas pour t’envoler, quitter ce confort douillet, protecteur et rassurant, persuadé que tu pouvais encore réaliser tes rêves. Le premier d’entre eux, on le rappelle, était de se rapprocher du soleil mais, ces mois, ces années enfermés dans cette belle cage dorée, avaient quelque peu endormi ta vigilance, et cette soif de rattraper un temps que tu croyais perdu ne te fit pas prendre conscience du risque encouru : celui de se brûler les ailes. Et ce jour là, petit oiseau, tu regrettas alors ta belle cage et cette retraite, certes, privée de ses rêves, privée de liberté, mais offrant malgré tout la sécurité et une vie pour le moins confortable.

La morale de l’histoire, petit oiseau, n’est pas si simple car il y a toujours une morale dans une histoire, tu le sais bien, toi qui aimais écouter ces histoires de corbeau, de renard, de cigale et de fourmi racontées par tes parents. Tu te disais à l’époque que tu ne tomberais pas dans le panneau, petit oiseau, mais pourtant, tu t’es brûlé les ailes. Tu ne voleras plus dans ce ciel immense que tu croyais dompter, tu ne chanteras pas devant tous ces gens que tu croyais intéressés, tu en regretterais presque ta belle cage dorée…tu sais, petit oiseau, avoir des rêves c’est une chose ; pouvoir les réaliser, c’est autrement plus compliqué, il faut juste trouver le bon moyen de pouvoir y accéder, sans se brûler les ailes et sans y perdre son âme. De là à ne plus pouvoir siffler après s’être fait clouer le bec, il n’y a qu’un pas : celui de faire les bons choix mais sans renier ce que tu es…un petit oiseau…alors, un conseil, vole, petit oiseau, vole…

Lettre à Guillaume Musso…

Cher Guillaume,

Voilà bien une dizaine de fois que j’aurais pu vous écrire cette lettre, à chaque parution de votre dernier roman. Peut-être pas pour vous dire les mêmes choses, car chaque livre faisait naître en moi des sentiments différents, mais avec toujours un tronc commun, une idée maîtresse : celle de vous remercier pour ce que vous apportez à chacune et chacun de nous lorsqu’on vous lit. Quand on suit un auteur depuis plusieurs années, il arrive parfois (même souvent) d’être déçu à un moment donné, ce livre qui séduit un peu moins, qui transporte un peu moins que les précédents. Or, chez vous Guillaume, je dois avouer que je n’ai jamais été déçu. Chose rare, chose précieuse qui démontre une capacité à surprendre à chaque fois, à se renouveler et à ne jamais lasser.

Dans votre dernier livre « la Fille de Brooklyn », on fait la connaissance d’Anna et de Raphaël. L’histoire commence comme un conte de fée : séjour sur la côte d’Azur, soirée romantique, mariage qui se profile mais, comme cela arrive parfois dans la vraie vie, ce bonheur, ce moment de plénitude, va être gâché par quelques paroles que l’on regrette bien après d’avoir prononcé mais qui sortent de votre bouche, sans crier gare. Raphaël va tout simplement essayé de sonder le passé d’Anna, un endroit inexploré, un peu sombre et qui va s’avérer dangereux pour l’un comme pour l’autre. Passée la dispute, Raphaël va revenir s’excuser mais ce laps de temps qui parait si court entre le moment où il est parti et le moment où il revient suffit à séparer le couple. Il faut alors se rendre à l’évidence : Anna a disparu. Et on le sait dès les dix premières pages du livre, vous ne faites pas traîner l’histoire, ça n’a jamais été votre marque de fabrique, très vite, on est happé dans le tourbillon d’un scénario qui s’apparente à celui d’une série télévisée. Il en a les codes, il en a les ressort et je dirais qu’il en a le succès. On se plait à traquer la vérité aux côtés de Raphaël, on se demande quel pourrait être le ressort de cette histoire à tiroirs, on se passionne pour ces découvertes au fil des pages, on s’interroge sur certaines zones d’ombre que vous égrenez ici et là, on vibre pour cet amour qui nous parait impossible, on stresse pour ces heures d’angoisse alors que l’on touche près du but…bref, on vit tout simplement. Oui, Guillaume, vous nous faîtes vivre des histoires, vous provoquez chez votre lecteur une émotion si rare qu’elle est dérangeante lorsqu’on pose le livre et lorsqu’on se dit que ce n’était qu’une histoire, qu’une banale histoire mais une belle histoire. Dans tous vos livres, il y a ce sentiment de flirter avec l’irréel parfois, ça c’était au début, mais depuis peu, la réalité rejoint parfois la fiction, on est dans du plausible, dans du quotidien, dans du vrai.

Vous savez Guillaume, un journaliste, j’ai tendance à le répéter, est souvent un romancier raté. Il raconte des histoires mais sans pour autant faire appel à son imagination, il se contente des faits et parfois ne va pas plus loin. On vous a fait souvent le procès d’écrire des « romans de gare », expression qui ne veut pas dire grand chose, tant il est normal et parfaitement sain d’esprit d’acheter des livres dans une gare pour pouvoir ensuite les lire tranquillement dans le train, seule activité possible lorsqu’on a quelques heures devant soi. Vous êtes parmi les auteurs les plus lus, parmi les auteurs les plus décriés (souvent par une certaine élite qui n’a décidément pas compris ce que c’était que la littérature), l’un ne va pas sans l’autre, c’est bien connu en France, le succès dérange mais j’ai la vague impression que cela ne vous atteint pas, ou ne vous atteint plus. La meilleure réponse, elle est devant vous chaque jour, c’est le nombre de vos lecteurs toujours aussi impressionnant, toujours aussi important. Des lecteurs qui, comme moi, ne peuvent s’empêcher de dévorer vos livres en l’espace de quelques heures, qui ne peuvent s’empêcher de rêver à une autre vie, cette vie palpitante que vous projetez à travers vos personnages, ces histoires qui nous font sourire, nous font pleurer, qui nous stressent mais qui au final, nous transportent le temps de quelques heures, dans un autre univers, celui de l’imaginaire. Je ne saurais que trop recommander votre livre, Guillaume, je ne saurais que trop vous remercier pour ce que vous apportez chaque année durant quelques heures dans mon existence parfois terne et sans relief : un moment de bonheur à travers des pages, à travers du texte qui prend forme lorsqu’il glisse sous nos doigts. Merci Guillaume, merci Anna et merci Raphaël…

fille de brooklyn